Rumeurs d’un village: la sentence de l’Allemand

12 novembre 2020

Critique par Micheline Poulin

Grande Ligne, 1943. La guerre fait rage en Europe. À des milles du conflit armé, les échos du débarquement de Dieppe se répercutent jusque dans les chaumières québécoises. Depuis que Philippe, l’aîné de la famille Berger, a été capturé par les Allemands, Ignace et sa fille Élise reçoivent des nouvelles au compte-gouttes. Les Berger ne peuvent pourtant se laisser gagner par l’inquiétude: en l’absence du fils, le maintien du magasin général ne dépend plus que d’eux. Comme les autres villageois, ils tentent de traverser la crise en attendant le retour des hommes partis au front. En plus de pourvoir au nécessaire, la marchande fournit à ses concitoyens un lieu de rassemblement où chacun aime venir parler de tout et de rien. D’ailleurs, les conversations vont bon train, puisqu’un groupe de prisonniers allemands vient d’être déporté dans la région. La peur et la haine de ces étrangers attiseront les rumeurs…

Comme dans tous les romans de l’auteure Marylène Pion, j’ai été projetée dans le temps, cette fois-ci en 1943, alors que la Deuxième Guerre mondiale fait rage. Entraînée dans un village québécois assez tranquille, je suis devenue l’amie d’Élise, le personnage principal, qui s’occupe du magasin général avec son père. Elle a perdu sa mère et son unique frère a été fait prisonnier par les Allemands.

Les rumeurs de la guerre rejoignent rapidement Grande Ligne, car plusieurs jeunes soldats ont débarqué à Dieppe. Les avancées alliées sont au coeur des préoccupations. Que cette guerre finisse enfin!

Le voisin d’Élise, ami d’enfance et prétendant, est lui-même revenu blessé et les mères, les pères et les soeurs prient pour les leurs, toujours en Europe et dont ils reçoivent rarement des lettres, soumises à la censure.

Les personnages sont une force du roman, ainsi que les valeurs familiales. Élise, à 20 ans à peine, adore s’occuper du magasin général, entreprise familiale sur trois générations. Elle est travaillante, vive d’esprit et souvent tolérante. Une excellente commerçante, comme son père. Le magasin va bien, même si les villageois se serrent la ceinture et font leur effort de guerre. Élise est bien entourée par une meilleure amie, une voisine qui est une deuxième mère, un prétendant qui n’accepte pas vraiment les compromis et un père aimant.

Friedrich Schreiber, commandant sous-marinier, est prisonnier en Angleterre. Avec un groupe, il est transféré au Canada, au camp 44, à Grande Ligne. Il est droit, intelligent, assez placide. Avec lui, nous apprenons la réalité d’un convoi naval qui longe l’Irlande et Terre-Neuve pour accoster à Halifax, ainsi que de la guerre en Atlantique Nord où, à partir des colonies, les armées et pays alliés recevaient du ravitaillement.

J’ai découvert les camps de prisonniers de l’époque au Canada. Les geôliers et gardiens étaient des vétérans de la Grande Guerre, réservistes en sol canadien, et ils respectaient la Convention de Genève, n’admettant aucune cruauté envers les détenus. Ils étaient bien logés avec trois repas par jour. Ils devaient s’adonner à des tâches, mais ils pouvaient lire, jouer aux cartes ou aux échecs. Ils avaient accès à des cours de l’Université de la Saskatchewan par correspondance ou à des instruments de musique. L’auteure décrit bien ce que les diverses tâches pouvaient leur donner comme avantages.

Les prisonniers venaient d’horizons différents et les soldats n’appréciaient guère les nazis. Rapidement, une sorte de Gestapo s’installe au sein des dortoirs du camp de Grande Ligne. L’auteure en profite pour nous parler des idéaux d’Hitler et des responsables du conflit 1914-18.

Quand un coup dur frappe la famille Berger, le maire du village approche le dirigeant du camp pour qu’un prisonnier aide au magasin général. Friedrich est tout désigné, puisqu’il parle le français…

L’aspect village est intéressant, avec ses commères et ses jaloux, ses profiteurs et ses bonnes gens. Un prisonnier allemand qui aide au magasin attire les curieux qui ne réussissent pas à accepter le Boche. Et les rumeurs du village vont bon train, comme le jugement de tout un chacun. Sera-t-il toujours l’étranger pour les villageois et pour Élise? Des deux camps, plusieurs hommes et femmes de bien ne rêvent que de paix et de reconstruction. D’autres n’accepteront jamais la défaite…

Une note parfaite pour ce roman historique profondément humain, avec ses personnages attachants. Bien que dans le contexte de la guerre 39-45, le parallèle entre notre manière actuelle de juger l’inconnu et l’étranger, la peur, l’intolérance, la jalousie, est évident.

Le roman se termine sur un drame. Un deuxième tome est déjà publié.

Laissez un commentaire sur cette critique

Autres critiques littéraires
Territoire de trappe

Sébastien Gagnon et Michel Lemieux

Obsolète

Alexandra Gilbert

À la maison

Myriam Vinvent