Territoire de trappe
20 novembre 2022
Critique par Julien Renaud
Voilà tout un western !
Nordique, certes, mais pleinement western dans son essence. Un genre qui me stimule, mais qui ne m’avait jamais pleinement satisfait avant Territoire de trappe, de Sébastien Gagnon et Michel Lemieux.
Oui, la loi du plus fort s’applique, mais il y a aussi celles du plus rusé, du plus détraqué et de l’« animal le plus cruel » – ma préférée.
Le trio Léon, Wilbrod et Cyprien, ou le quatuor forcé par la présence d’un Reth supposément mort, complètement dérangé, possiblement cannibale et hautement inquiétant, revient de quatre mois en forêt qui n’ont pas été des plus harmonieux. Et alors que tout devrait s’apaiser à l’arrivée au village, par amour ou par alcool, l’annonce de la mort de la femme et de la fille de Léon, cette dernière ayant été agressée sexuellement par le maire – toute rumeur est vraie dans un endroit de cette taille –, vient déclencher une vendetta sans pitié, envers le coupable comme tous ceux, nombreux, qui ont fermé les yeux. C’est l’heure de « plumer toutes ces poules mouillées » !
« Nous autres, on va faire ce qu’y faut. Tout le village mérite d’y passer. »
En effet, c’est terminé, les horreurs derrière les portes closes. L’odieux sera célébré au grand jour, cette fois.
« Les habitants ne le savent pas encore, mais ils passent leur dernière nuit de quiétude. »
Plongé dans un monde barbare et impitoyable, le lecteur est transporté par une hostilité de tous les instants et de tous les lieux, climat qui régnera jusqu’à la dernière page, lorsque les corps empilés seront plus nombreux que les survivants.
En période d’avant-guerre, dans ce Texas du nord du Lac-Saint-Jean, « tentative de village avortée », on pourrait penser que le pire s’est déjà produit, mais la suite va rivaliser en horreurs. Ce qui suit n’est pas chic du tout et peut choquer plusieurs lecteurs – mais pas moi !
Est-il normal de se plaire autant dans un scénario où le curé se fait enculer à frette, où les têtes coupées sont baladées en trophées de guerre, où l’on tue des bêtes innocentes et où l’on empoisonne la nourriture des enfants ? Probablement pas, mais j’ai dévoré Territoire de trappe avec un sourire (sadique) en coin, échappant même quelques fous rires – en reconnaissance de l’humour noir bien aiguisé des nordécrivains de ce livre à quatre mains, couronné meilleur roman au Prix littéraire du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean. J’en aurais même pris plus, de ces clins d’œil savoureux, bien dissimulés et aussi rares que les moments d’apaisement dans ce hameau.
C’est trash, mais c’est bon ! Maudit que c’est bon !
Et c’est pertinent, aussi, contemporain, avec la culture du viol et celle du silence au coeur de cette épopée de vengeance.
Grande force de l’oeuvre, les personnages sont précis, tous à la fois détestables et attachants, à l’exception du maire, uniquement à cracher dans’ face ou à crucifier vivant. Je confesse un coup de coeur pour Reth, pour son génie, toujours à la limite du surnaturel et du monstrueux. Bien qu’il soit le grand méchant, l’adversaire de Léon dans ce « combat de mâles dominants ».
« Des orignaux crèvent empêtrés dans leurs panaches pour les mêmes raisons chaque automne. »
Je vous suggère fortement ce western épique et décadent !
Mais attention, vous ne savez pas dans quoi vous vous embarquez…
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Pour lire la critique d’Isabelle Blier du même roman, cliquez ici.
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