On a tout l’automne
06 octobre 2022
Critique par Julien Renaud
De retour à Salluit, environ deux ans plus tard, la narratrice de Nirliit, roman précédent de Juliana Léveillé-Trudel, est à la recherche d’un chez-soi, d’une quiétude malheureusement embrouillée par le blizzard, par l’amour plafonné et par le deuil d’une mère dont les souvenirs s’effacent. Par « la peur incontrôlable de perdre tout ce que j’aime ».
« La vue en plongée sur la baie me rentre dans le ventre comme si je ne l’avais pas déjà contemplée mille fois; toutes les fois, la première fois. »
Elle y est tout l’automne, notamment pour y faire le plein de poésie, mais sa quête déborde en effet des ateliers à l’école et des retrouvailles dans le gymnase avec ses jeunes du camp, devenus adultes aussi vite que l’hiver s’installe dans la toundra. Une saison, une joyeuse anarchie, puis des au revoir. Encore.
On a tout l’automne, c’est une oeuvre douce, délicate, portée par l’intime. Les descriptions sont fines; l’incursion est totale. C’est aussi une ode aux mots, une célébration des langues, de l’inuttitut. C’est aussi une ode à la jeunesse, à la communauté, à la résilience. Tout ce beau construit sur des fondations toutefois fragiles, sur des fléaux trop nombreux, dont la culture du viol. Mais sans lourdeur aucune. Propulsé par une écriture sublime.
« Au moins Mary a trouvé un mot pour traduire poème : ugatsianguaruti. (Moyen pour faire joliment semblant de parler.) C’est beau. »
Arvitaq : rencontres chez les autres.
Ilinnisvik : endroit où s’efforcer d’apprendre.
Kingnguq : ressentir le besoin de ce qui est disparu.
Inuit : humains.
Ukiuq : hiver, et aussi année.
Aanniavik : hôpital, endroit où souffrir longtemps.
La narratrice recueille l’autre, s’oubliant souvent, « leur laissant la parole », « écoutant leurs histoires », faisant « un bout de chemin pour aller les retrouver dans leur langue ». La bienveillance incarnée.
Je jalouserai longtemps plusieurs phrases magnifiques, empreintes de la puissante simplicité qui fait l’identité de cette autrice, qui a travaillé au Nunavik auprès des enfants.
« J’aimerais réapprendre à ne rien faire.» «Je réimprime le décor sur ma rétine. » « Des mots tout nus. » « Les mots accordéon. » « Planant un instant entre les esprits du ciel et ceux de la toundra. » Et la plus forte de toutes : « Une baie d’Hudson enfouie dans le corps. »
Ce roman est doux comme l’aurore que je n’ai pas encore vue.
Nakurmiik qaisuungugavit : merci pour être ici.
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