Les secrets de Saint-Joseph
17 novembre 2020
Critique par Micheline Poulin

Juin 1940. Le train vient de quitter la gare de Saint-Joseph-de-Maskinongé. À son bord, Germain Lalancette, 17 ans, file vers Trois-Rivières. De là, un frère l’attend pour le conduire au juvénat de Pointe-du-Lac, où il commencera son noviciat.
À Québec aussi, un train met le cap vers cette même destination, Trois-Rivières. Il transporte un troupeau de prisonniers de guerre balancés sur nos terres par l’Angleterre. Un surplus, dira l’Europe. Un de plus. Et il y en aura beaucoup. Vinzenz, jeune prisonnier allemand, fait partie du troupeau de cette fin de printemps. Le camp de Trois-Rivières, jugé trop insalubre, ne sera en opération que trois mois, assez pour que les vies de Germain et de Vinzenz s’y croisent.
Juin 1940. Germain, le premier fils de la famille Lalancette est destiné à embrasser le sacerdoce sans qu’il n’ait rien à dire. Le curé qui exige ce fils, qui le recommande, s’enorgueillit. Dans le train qui le conduit vers le juvénat de Trois-Rivières, c’est le coeur lourd qu’il regarde Saint-Joseph-de-Maskinongé disparaître. La beauté de la campagne lui manque déjà.
Vinzenz, prisonnier de guerre allemand, débarque au camp de Trois-Rivières, où les conditions de vie sont épouvantables, voire inhumaines. S’ajoute à l’emprisonnement une Gestapo, monnaie courante partout où des officiers et soldats SS sont sous verrous. L’été est chaud. Les nouvelles recrues du juvénat ont la charge d’approvisionner le camp en denrées, livres, etc. Vinzenz et Germain se croisent. Il suffit d’un regard pour que Germain comprenne son attirance pour le jeune allemand… Puis, un jour, quelques mots griffonnés sur un papier remis par le prisonnier changeront la vie de Germain et de Vinzenz…
J’ai tout adoré de ce roman, à la fois un reflet intimiste des réalités et des combats d’un jeune novice et un tableau historique représentant la région de Trois-Rivières en 1940. L’auteure aborde les enjeux politiques, avec l’élection de King, et les mesures logistiques pour accueillir 38 000 prisonniers allemands envoyés de l’Angleterre au Canada par l’administration de Churchill. Les magnifiques descriptions permettent de goûter le parfum du thé, de respirer les effluves des cierges et de l’encens, de s’éblouir de la lumière particulière sur le fleuve… Le camp de prisonniers de Trois-Rivières est si bien décrit que ce n’est pas une surprise d’apprendre qu’il a été fermé pour insalubrité. La religion, le juvénat, les frères et le curé nous sont révélés, et je me questionne d’où peut venir l’expression «charité chrétienne». Dans ce roman, la suffisance des curés, qui devraient être des hommes bons, mais qui recherchent le pouvoir, m’a profondément heurtée.
En plus d’aborder les milieux fermés du juvénat et du camp de prisonniers dans un parallèle décrit d’une plume sublime, l’auteure aborde le service obligatoire, les mariages de masse du 14 juillet 1940 pour éviter la guerre à une génération de Canadiens et, très subtilement, mais viscéralement, l’homosexualité. Son regard empreint de beauté, de décence et de tolérance m’a émue.
Parfois, dans un roman, il est des personnages inoubliables… Le sublime Germain et ses combats intérieurs m’ont offert, comme en cadeau, bonté et empathie. Jamais Germain ne juge. Toujours généreux, il est présent pour aider, pour mettre la main à la pâte, sans faire de vagues.
Une plume magique fournie d’une poésie addictive, une conteuse de grand talent qui sait aborder les combats et les horreurs avec bienveillance, avec une rigueur objective, sans juger. Un roman profondément humain.
Des citations: «Il aura fallu trois mois pour que mes émois d’homme se réveillent et se confirment, puis qu’ils me suivent par la suite toute ma vie.» «Une soutane se gagne à la hauteur de nos dévotions et à l’éclat de notre foi…» «Ces odeurs de seigle et de sarrasin m’enivrent et lénifient mes indécisions du moment.»
Une note parfaite.
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