Les égarés
24 décembre 2021
Critique par Julien Renaud
Les égarés, c’est le récit de Wolf, qui a décidé de célébrer son 18e anniversaire en se jetant dans le vide, du haut de la montagne qui surplombe Palm Springs, là où son meilleur ami Byrd a failli mourir, un peu par sa faute. Les dernières minutes de sa vie s’étirent toutefois lorsqu’il se convainc de venir en aide à trois femmes: Nola, sa fille Bridget et sa petite-fille Vonn, trois âmes brisées comme la sienne, démunies dans cette montagne que lui croit connaître. Lorsqu’elles s’égareront, avalées par la tempête et la montagne, lorsqu’elles seront devant l’obligation de lutter pour leur vie, ces quatre âmes se recolleront autour d’un destin commun: survivre.
«Elle avait peur. C’était évident. Au lieu d’éprouver de la terreur, j’ai senti ma détermination se raffermir. Je ne laisserais pas Nola Devine mourir. Il y avait forcément une issue.»
Lorsqu’il prend son envol, ce récit de survie est engageant, prenant. Dès le départ, on sait qu’il durera cinq jours, et qu’une personne y laissera sa peau, mais malgré tout, on a l’impression que l’on doit accompagner les personnages dans cette souffrante épopée. Impossible de déposer ce livre, sentant qu’on tient leur destin entre nos mains, qu’il faut être là pour les garder éveillés, alors que leurs corps veulent s’éteindre. Comme lecteur, j’ai vécu, à ma façon, une aventure éprouvante et émouvante.
Tout au long du roman, on trouve des pièces de casse-tête pour comprendre l’histoire familiale de Wolf, le poids de la pauvreté, la lourdeur des travers de son père, la source de son désir d’en finir et l’ampleur de son amitié avec Byrd, paralysé et inconscient depuis l’accident. Byrd, celui qui a donné un sens à sa vie et qui lui a fait découvrir la montagne.
«J’étais si accablé par la pauvreté de mon nouveau quartier que je ne m’étais pratiquement pas donné la peine de lever les yeux. Quand je l’ai enfin fait, j’ai eu le souffle coupé par la montagne qui se dressait devant moi. Haute et large de plusieurs kilomètres, créature épineuse dont la simple existence semblait avoir pour but de défier les plus insipides, elle surgissait du désert, vivante, ses dents inégales s’efforçant de mordre le ciel bleu.»
Et quand les personnages se retrouvent un pied dans la vie et un pied dans la mort, que leurs esprits s’évadent et qu’ils quittent la réalité en de courts instants, non pas par spiritualité, mais par épuisement, on assiste à des moments empreints de sens et d’émotion.
«Paralysé, impuissant, je l’ai vue scier la nuit avec vigueur et rapidité, même avec son poignet blessé, une expression joyeuses et sereine sur le visage. […] Elle tenait en l’air un instrument fantôme, caressait une scie de cordes avec son poignet cassé et ravagé par l’infection. Spiccato. Legato. Pizzicato. Détaché. Dans les airs, elle ne jouait pas du violon. Nola jouait du vent. Je l’ai écoutée, captivé par la musique, par chaque note bouleversante.»
Leur combat sera long et intense, avec des rebondissements plus ou moins attendus, des moments de force et des moments de faiblesse; tout ça décrit avec un doigté que j’ai rarement observé. Le vent, la faim, le froid, la soif, la douleur, l’angoisse et la culpabilité se recoupent autour du besoin de survivre, de ne pas abandonner l’autre dans sa survie individuelle. Les personnages se livreront entiers, le poids des remords n’arrivant pas à la cheville de celui d’une mort tangible.
Si l’on connaît une part des dénouements, l’auteure nous a gardé quelques surprises et, comme les cordes d’un violon, chaque élément joue son rôle. Regroupées, toutes les finalités de cette randonnée, toutes ces ficelles, procurent un sens d’une mesure inestimable à cette oeuvre que je recommande chaudement.
J’en ai retiré une grande part de lumière.
Bien que ce roman ait des défauts, notamment dans la forme et dans son amorce, et qu’une part de potentiel y dorme encore, l’histoire est parfaite et méritait peut-être ces quelques failles pour mieux transcender l’objet.
Les égarés, ce n’est pas une livre, c’est une histoire.
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