Les Bleed

16 novembre 2020

Critique par Julien Renaud

«Brillant thriller politique, Les Bleed nous entraîne dans les coulisses d’une dynastie en chute libre.»

La famille Bleed règne depuis trois générations dans un pays à forte tradition dictatoriale. Le dernier de la lignée, Vadim, sollicite un second mandat, sans nécessairement le mériter. Mais ce pays n’existerait pas sans les Bleed et ne connaît rien d’autre. Est-ce suffisant? C’est de moins en moins clair. Comme le printemps arabe nous l’a appris, aucun pays, aussi nécrosé soit-il, n’est à l’abri d’un mouvement de rejet et de changement. La population de Mahbad bouille soudainement, veut goûter à autre chose. Vadim pourrait-il perdre son élection? Comment s’assurer d’une issue favorable, et ce, peu importe sa véracité? Une petite pensée pour Trump, ici, inévitablement. Devant l’incertitude de la réélection de son fils et le possible effondrement d’une tradition familiale de suprématie, Mustafa tente de reprendre les commandes et de tasser son fils, plus ou moins subtilement. Pas question que l’histoire se termine ainsi, se dit-il. Mais Vadim refuse d’abdiquer et développe soudainement un goût réel pour le pouvoir et une soif de changement, quoique limitée.

Difficile de demeurer indifférent devant une telle trame dramatique. Surtout pour ceux et celles qui raffolent des stratégies politiques de coulisses, comme moi.

On découvre tranquillement ce qui oppose Vadim et Mustafa. Ils sont de la même lignée, certes, mais peuvent facilement devenir des ennemis, des adversaires. Ils sont égoïstes et malicieux, autant l’un que l’autre, mais différemment. Leurs intérêts ne sont pas les mêmes. On peine à adopter pleinement un camp, celui du père ou du fils, sans oublier la sympathie instinctive pour les personnages révolutionnaires. Vadim et Mustafa ont chacun leurs défauts, certes, et on comprend la population de vouloir s’en débarrasser, mais chacun possède des traits qui chatouillent notre empathie. On se retrouve inévitablement divisé en soi-même, comme le pays.

L’intrigue s’accélère de page en page; le roman se dévore. L’escalade de tensions nous gonfle jusqu’au dénouement, troublant et déviant un peu de la trame habituelle d’un thriller. Je n’en dirai pas plus…

Le jeu politique dans toutes ses laideurs, la flamme révolutionnaire qui se nourrit d’oppression, le suspense qui grossit et s’accélère, l’inconfort généré par des personnages détestables, la critique sociale, politique et économique; Les Bleed a beaucoup à offrir. Et c’est sans parler de la qualité de l’écriture, simple et parfaite, de Dimitri Nasrallah, que j’avais découvert avec Niko. Cet auteur ne s’enfarge nulle part et tout coule, ce qui s’avère nécessaire pour embarquer pleinement dans un thriller comme Les Bleed, aussi bien que dans un récit d’une grande humanité et sincérité comme Niko. Vraiment, Nasrallah est un large coup de coeur, surtout que ces deux romans nous amènent dans des univers différents. Il y a là un exploit.

Qui aura le dernier mot? Le père ou le fils? Ou la population?

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