La garçonnière

05 décembre 2020

Critique par Élodie Bordeaux

«Mara et Hubert, ce sont deux magnifiques corps, se frôlant, s’effleurant à peine. Sur la patinoire. Dans le 55. Lors des bed in.

Mara et Hubert, ce sont des discussions sur le lit, à être bien (ou sur une autre surface sur laquelle s’étendre à l’horizontale comme une plage), en après-midi, quatre heures étant l’heure parfaite pour étreindre un corps nu, surtout pendant l’orage ou la tempête dehors qui immobilise tout. Ce sont de longues soirées d’ivresse. Des théories sans queue ni tête. À deux balles.

Mara et Hubert, ce sont deux corps maladroits, quatre mains pleines de pouces, deux corps dont les replis ont été admirés de loin, lorsque l’un finissait par s’assoupir dans la candeur du jour que l’on voulait éternel, sans crépuscule ni nuit.

Un jour où il serait à jamais quatre heures de l’après-midi.» (La garçonnière, p. 75)

Une garçonnière est un petit appartement pour une personne seule. Un genre de lieu sûr, de safe space dans lequel se cacher des intempéries de la vie extérieure. C’est un peu comme ça qu’on se sent à la lecture du roman La garçonnière de Mylène Bouchard: isolé.e et bien, dans un lieu sûr et réconfortant qui nous permet de nous sentir confortable, rassuré.e, apaisé.e, peut-être triste et déçu.e parfois, mais surtout, entouré.e de douceur et de calme.

Bien que je regarde souvent les nouveautés publiées par la maison d’édition La Peuplade – que j’apprécie particulièrement –, c’est le club de lecture virtuel Espace littéraire qui m’a poussée à lire La garçonnière ce mois-ci. Je m’étais laissé la liberté de ne pas lire le livre du mois si j’avais d’autres priorités de lecture, mais quand j’ai vu le titre choisi, j’étais enchantée à l’idée de découvrir le roman en même temps que d’autres lecteurs et lectrices. Je m’attendais à aimer ma lecture comme pratiquement toutes celles que j’ai eu la chance de faire grâce à La Peuplade et, sincèrement, je suis plus que comblée.

La mise en page, les sous-titres, les poèmes qui traversent le texte; dès les premières pages, j’ai été charmée par la construction en fragments poétiques (et je le suis restée à chaque moment où je découvrais l’histoire, soit jusqu’à la toute fin). En effet, le roman découpé en parties, en chapitres, en sous-titres, en textes puis en poèmes amène chez le lecteur ou la lectrice un sentiment de calme, de douceur, puis un grandissant besoin de prendre des pauses, de suivre la vague, de profiter de chaque moment auprès des personnages principaux qui se livrent à nous avec naïveté, avec jeunesse, sans limites et sans jugement. Mara et Hubert sont deux personnages artistiques, inspirants, doux, se laissant porter par leurs sentiments sans pour autant cesser de se demander pourquoi, comment, à quel moment, où leur amour est-il réellement né? Et surtout, sans jamais vraiment oser le consommer sans parler d’accidents de parcours. Car des accidents, il y en aura. Peu, j’en conviens, mais de ceux qui marquent toute une vie.

En plus des personnages forts, de leur relation chaotique, de la mise en page magnifique, il y a autre chose qui prend vie dans ce roman de Mylène Bouchard: les lieux sont d’une importance si capitale que l’on croirait avoir affaire à des personnages secondaires, des ami.e.s et mêmes des amours de Mara et Hubert. Les cafés, les rues, les villes, les maisons. Encore les cafés, le métro, l’université, le train imaginaire entre Noranda et Péribonka. Le grenier, toujours plus de cafés… Autant d’éléments qui permettent au lecteur ou à la lectrice de se sentir interpellé.e par l’histoire, voire présent.e auprès des protagonistes. Les pages du roman se retrouvent empreintes de l’ambiance de ces différents lieux et chargées des émotions qui les accompagnent. C’est de toute beauté, et c’est une incroyable échappatoire qui fait se sentir bien et triste à la fois.

Au final, La garçonnière a été pour moi une inspiration (comme quand on prend son souffle), un moment de pause, une suspension, un profond soupir rempli de désir; mais aussi un deuil à surmonter à la suite des nombreuses frustrations créées par l’indécision, les impossibilités de connexion, l’échec de la relation. La garçonnière a été pour moi doux et rude, tempéré et sans limites, calme et puissant. Un roman d’une grandeur et d’une beauté qui m’ont laissée sans mot, puis pleine de choses à dire et à crier. J’ai adoré.

«Ils représentent ce moment exact avant que l’on cogne à la porte, que l’on soit dérangés, envahis, invités quelque part, à sortir, au cinéma, au théâtre, en boîte, pour l’apéro, dans les ruelles de Montréal, la nuit.

Mara et Hubert, ce sont deux damnées limites grisantes.» (La garçonnière, p. 75)

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