Girl
06 novembre 2021
Critique par Élodie Bordeaux
«Je me réveille sur le sol de la cuisine, où j’ai dû tomber d’épuisement. Je commence à gratter l’argile comme le fait une bête pour sortir. Je ne sortirai jamais. Je suis ici pour toujours. Je demande à Dieu, s’il te plaît, ne me donne plus de rêve. Efface tout. Vide-moi de tout ce qui a été.» (Girl, p. 38)
L’histoire de Girl en est de celles qui se doivent d’être écrites, qui se doivent d’être lues et qui se doivent d’être racontées. Pourtant, c’en est aussi une qui est des plus difficiles à affronter. J’ai lu Girl chapitre par chapitre, phrase par phrase, lentement, difficilement. Pas que ce soit le style d’écriture ou la manière de raconter qui soit pénible, bien au contraire: ce roman est écrit d’une façon magnifique. C’est ce qui y est dit qui me semblait parfois impossible à lire, alors autant dire que j’étais en souffrance à l’idée de celles qui l’ont vécu.
Girl s’inspire de l’histoire vécue de lycéennes nigérianes enlevées en 2014 par Boko Haram, un groupe terroriste au mouvement d’idéologie djihadiste. Le lecteur vit dès la première ligne le rapt des jeunes filles, rapidement suivi de l’arrivée au camp et de toutes les horreurs qu’elles devront y vivre. Pour notre protagoniste, ces horreurs passent des mauvais traitements aux violences sexuelles jusqu’à son mariage forcé à un soldat djihadiste, de qui elle aura une fille qu’elle aura beaucoup de mal à aimer.
La jeune femme finira pourtant par s’enfuir, croyant premièrement à son salut, pour finalement se rendre compte que sa traversée de la jungle avec l’enfant qu’elle aura eue en captivité sera seulement la suite de ses sombres difficultés.
J’arrête cependant tout de suite de parler de l’histoire de ce roman; je pense qu’il faut seulement le lire pour réaliser et oser dire que l’on imagine ce que ces femmes ont vécu. L’autrice a su bouleverser par sa manière de décrire autant d’atrocités, en laissant pourtant à son héroïne une inattaquable foi en la vie. Malgré toute la souffrance que renferme ce roman, il reste grandiose et nécessaire, faisant écho à une souffrance universelle vécue par ceux et celles qui ont été déraciné.e.s à leur culture et à leur famille au cours de leur vie.
«Des jours que je n’ai aperçu le moindre être humain, et quand j’en verrai un, j’ai peur que ce soit pour nous trainer vers la fin la plus sanglante. Je suis incapable de prier dans ma vieille langue, car ils nous ont bombardées de leurs prières, leurs édits, leur idéologie, leur haine, leur sainteté.»
(Girl, p.15)