Chercher Sam
24 mars 2021
Critique par Julien Renaud
Chercher Sam, si l’on ne se fie qu’au titre et à la quatrième de couverture, semble être la quête unique d’un itinérant qui perd son chien… et son équilibre, du même coup.
C’est cela, et ce serait suffisant, mais c’est tellement plus également.
Il y a une dynamique familiale pertinente qui fait plus de mal que de bien, qui étouffe plus qu’autre chose. «Y a des choses qui se réparent pas.»
Il y a une histoire d’amour entre deux jeunes enivrés qui finissent par frapper un mur de plein fouet. Il y a une grossesse venue trop vite, qui ravit le père et détruit la mère. Il y a un jeune papa qui s’accroche à son enfant, Lila, pour donner un sens à sa vie.
Il y a cette enfant ô combien attachante, qui fait oublier tant de noirceur. «On a besoin de personne, nous, papa.»
Il y a le chien, une femelle, d’où son collier rose, plus bienveillant que tous les humains réunis. «Le chien m’a regardé pour me dire qu’on était des pas si pires parents, pareil.»
Il y a plusieurs deuils, plus ou moins pénibles, libérateurs ou destructeurs.
Il y a la pauvreté et la précarité, obstacles à l’équilibre.
Il y a «une solitude pesante et triste qui te donne pas envie de mourir […], mais juste de ne pas être là».
Il y a la détresse et la perte de sens. «C’est comme une tache d’encre de Chine sur un papier mouillé, dans ma tête. Ça se répand partout, dans tous les sens, et ça me rend fou.»
Il y a Sam et Lila, trouvées, perdues, retrouvées… ou pas.
Il y a tellement dans ce livre excessivement court, qui se dévore en quelques bouchées.
En effet, la quête pour retrouver Sam, le dernier rempart de Mathieu, le personnage principal, en cache une tonne d’autres.
Sans son bouclier, il doit maintenant affronter les épreuves du passé, celles du présent et celles du futur. La plaie de sa solitude s’ouvre, devenant plus grande et plus profonde que jamais.
Mais il s’accroche. «Je voulais pas mourir […]. Ç’aurait été trop doux.»
J’ai été ému à plusieurs reprises, pour plusieurs raisons. La paternité et le réconfort canin, ainsi que la solitude qu’il camoufle, ont fait vibrer des cordes sensibles chez moi.
«C’est apaisant, un coeur qui bat sous ta main. Même si c’est rien qu’un coeur de chien.»
La forme est aussi exceptionnelle, aérée et intimiste.
L’écriture est sublime; elle ne vole pas la vedette aux émotions, mais nous fait applaudir à quelques reprises, à des moments indiqués. C’est très québécois, autant pour les segments de franc-parler que pour ceux empreints d’un lyrisme parfaitement dosé.
«Je regarde par la vitre, pis des fois j’appelle Sam, d’un coup qu’elle sorte d’une ruelle avec sa face de ”Ah! Thank God t’es là! J’ai poursuivi un écureuil, pis next thing I know, je savais pus t’étais où”. La nuit est en train de tomber et ça me gosse vraiment beaucoup, mais la lumière est fucking belle. Je voudrais qu’il fasse gris, que les nuages soient tellement bas qu’on doive se baisser pour pas les manger dans face. Là, l’orange et la chaleur du ciel me rappellent que le monde se crisse ben de moi pis de nous. Que le monde continue sa vie comme si de rien n’était, alors que j’ai perdu la seule affaire qui me restait.»
Seul petit bémol: j’aurais aimé vivre un peu plus l’itinérance, une thématique qui s’annonçait beaucoup plus centrale.
C’est un livre de vérité, d’authenticité et d’humanité, de chaleur et de froid, de bonheurs et de tristesses.
À lire!
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